vendredi 18 novembre 2011

Vive le printemps !


"Les enfants aiment beaucoup Ahmed Safa. Il les charme par des récits fantastiques. Comme eux, il vit en enfant. Il n'a pas les soucis des adultes; ces soucis, lourds et puants. Le hachâche n'a pas honte de sa misère. Il n'a pas cette dignité  idiote qu'on les autres, lorsqu'il s'agit de mendier. Car le plus terrible ce n'est pas d'être pauvre, c'est d'avoir honte de l'être. Heureusement, les enfants ont une conscience pure, non encore pétrifiée par l'usage de la morale. Leur seule noblesse est dans la hardiesse de leur vie. Ahmed Safa les rassemble parfois chez lui, pour discuter certains coups qui demandent beaucoup d'initiative et d'audace.
Le plus clair de leur temps, les enfants le passent hors de la maison. Dans la venelle et les environs, ils organisent les jeux, les rapines et les bagarres. Leur journée est bien remplie. Quand le soir tombe, ils rentrent chez eux, exténués, pour subir la vigueur des imprécations maternelles. Puis ils dorment tranquille, ayant payé leur lourd tribut à la vie. Ils ne se plaignent jamais. L'homme, lui,, se plaint parce qu'il a compris qu'il est un esclave. Il cherche à en sortir, il crie, il se démène, mais rien n'arrive. Il faudrait pourtant que quelque chose arrive. Abdel Al a déjà senti cela dans sa chair. Quelque chose doit arriver forcément. Mais d'où sortira cette chose terrible et sanglante? Peut-être de ce peuple d'enfants élevés dans le ruisseau et la pourriture. Car ils semblent porter en eux la dureté d'une vie nouvelle. Ils sont la force qui se lèvera un jour de la boue des quartiers populaires. Une force immense et explosive que rien n'arrêtera plus. Venue du fond des venelles, elle submergera les places et les avenues. Elle déferlera comme une mer tempétueuse; elle atteindra, par-delà le fleuve, les îles endormies dans la splendeur des palais. Là, elle s'arrêtera enfin. Elle respirera fortement. Elle aura atteint son but."
Albert Cossery ( La maison de la mort certaine) Ed Joëlle Losfeld
Chez le poète Cossery tout est juste et simple. Il y a d'abord l'Egypte, où se déroule la presque totalité de son oeuvre et puis surtout son peuple, principalement les déshérités , les hommes oubliés de Dieu, comme le titre de son premier livre. Sa poésie est simple, accessible. Elle aime la vie et prône  le  partage, comme le peuple de la médina.
On ne peut sortir d'un roman de Cossery sans aimer de nouveau la vie, sans croire, sans espérer encore.
 De  ce texte écrit en 1944, juste avant ses deux grands romans les plus connus et commentés (Mendiants et orgueilleux  et Les fainéants dans la vallée fertile)(1) on peut penser qu'il est prémonitoire, il est simplement humain. C'est un plaidoyer pour la justice, une simple justice, face à un système, un pouvoir  sans partage. Bref, Cossery, c'est une littérature de printemps.
Julius Marx

(1) Voir l'article "Haro" dans ce blog en date du lundi 20 décembre 2010. J'ai également cité "La violence et la dérision", roman visionnaire et subversif  dans un article d'avant B.A.
-Le  hachâche  est le fumeur de hachisch

2 commentaires:

  1. Magnifique texte, Julius, tu as raison. Il faudrait le distribuer place Tahrir.

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  2. Oui, c'est exactement ce que je pensais. Cet homme que l'on considérait seulement comme une sorte de "dandy", détaché du reste du monde, nous montre qu'au contraire, il était vraiment DANS le monde.

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